AVOCATS/MAGISTRATS DUO/DUEL
Colloque
26 mai 2018
Maison des Associations Internationales (40, Rue de Washington, Bruxelles)
CONCLUSIONS
Dans son rapport présenté au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juin 2017, le Rapporteur Spécial sur l’Indépendance des Juges et des Avocats a constaté, notamment, que :
L’état de droit ne peut être protégé que s’il existe un système effectif de séparation des pouvoirs qui garantisse l’indépendance de l’institution judiciaire ;
Les ingérences, les pressions et les menaces risquent fortement de compromettre l’indépendance des juges et de rendre ceux-ci particulièrement vulnérables face à la corruption ;
Les ordres des avocats, qui ont un rôle vital à jouer dans la protection des normes et de la déontologie de la profession, doivent assumer leurs responsabilités à cet égard et adhérer aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature et aux Principes de base relatifs au rôle du barreau ;
Il incombe aux États de veiller à la sécurité et à la protection physique de tous les professionnels du droit, afin de garantir l’indépendance de l’institution judiciaire ;
Les médias ne peuvent travailler de manière impartiale que sous certaines conditions. C’est à l’État qu’il incombe de faire en sorte que ces conditions soient réunies en garantissant la liberté d’expression et la liberté de la presse. Par ailleurs, les médias doivent être conscients de leurs responsabilités et veiller à diffuser des informations exactes de manière professionnelle et rigoureuse, dans le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Partageant ensemble de longue date ces préoccupations, pour la première fois, AED et MEDEL ont organisé un colloque pour débattre ensemble la contribution des avocats et des magistrats à la réalisation d’une justice indépendante, et sont arrivés à ces
CONCLUSIONS COMMUNES :
I. L’indépendance de la justice
1. Les menaces contre l’indépendance de la justice et l’État de Droit se multiplient dramatiquement partout et sont actuellement un problème global ;
2. Les autorités Turques ont démantelé l’État de Droit – aujourd’hui la protection des libertés et droits fondamentaux des citoyens turcs n’est plus garantie ;
3. L’emprisonnement et la révocation arbitraire de magistrats et avocats en Turquie sont inacceptables ; il en est de même de l’absence totale de procès justes et équitables, devant des tribunaux indépendants ;
4. Les menaces contre l’indépendance du Pouvoir Judiciaire se manifestent au sein même de l’Union Européenne ; ainsi en Pologne, l’action agressive du gouvernement pour assurer sa mainmise sur le système judiciaire est totalement inacceptable ; elle met en danger tout l’espace européen de justice ;
5. Une justice sans moyens ne pouvant être réellement indépendante, AED et MEDEL demandent que les justices européennes soient dotées de moyens leur permettant de rendre effectif, pour tous, le droit à un procès équitable et que soit consacré à l’aide légale un financement significatif ;
II. Magistrats / Avocats
6. Aucun système judiciaire ne peut être vraiment indépendant sans avocats libres ni sans juges et procureurs indépendants ;
7. L’indépendance du Pouvoir Judiciaire n’est pas un privilège des avocats et des magistrats – c’est un droit fondamental pour les citoyens ;
8. Les différences entre les fonctions et les positions institutionnels des avocats et des magistrats ne doivent pas empêcher le dialogue et la collaboration pour l’amélioration du système judiciaire ;
9. Avocats et magistrats ont le devoir de collaborer pour garantir à tous l’existence d’un système de justice indépendant, efficace et socialement juste, seul apte, en respectant un procès équitable, à assurer la protection effective des droits fondamentaux ;
III. Autorégulation et responsabilité
10. Les Conseils Supérieurs de justice, dont la majorité des membres doit être composé de magistrats librement élus par leurs pairs, sont essentiels pour garantir l’indépendance du Pouvoir Judiciaire ;
11. Les cours supérieures et constitutionnelles, dans la mesure où elles analysent des cas qui peuvent être politiquement sensibles, doivent avoir des garanties supplémentaires de non-ingérence des autres pouvoirs de l’État, soit dans la nomination de ses membres, soit dans son processus de délibération et d’exécution de ses décisions ;
12. Le processus de sélection, de formation et de carrière des magistrats doit être clairement établie dans la loi et des garanties effectives de non ingérence des autres Pouvoirs de l’État doivent être mises en place ;
13. Les sanctions disciplinaires des magistrats doivent être clairement prévues par la loi et les procédures disciplinaires doivent être conduites devant des conseils supérieurs, et être équitables, contradictoires et sans aucune possibilité d’interférence des autres pouvoirs de l’État ;
14. AED et MEDEL demandent que le débat soit ouvert afin que le rôle de l’avocat et le Droit de la Défense soit inscrit dans toutes les constitutions ;
15. La profession d’avocat doit être prévue dans la loi comme élément fondamental du système judiciaire, et des garanties doivent être établies pour assurer la totale liberté d’expression et d’action des avocats dans l’intérêt des citoyens ;
16. La profession d’avocat doit être autorégulée, sans possibilité d’aucune restriction ou interférence de la part des autorités publiques – un avocat ne doit être puni que pour des fautes déontologiques établies par la loi et vérifiées par des organes composés d’avocats et avec un procès équitable et contradictoire ;
17. AED et MEDEL demandent que voit le jour la convention européenne sur la profession d’avocat proposée par la PACE en souhaitant qu’une convention à l’identique sur la profession de magistrats/juges soit également élaborée ;
18. AED et MEDEL demandent que le dispositif de mise en place d’une plateforme de protection des défenseurs des droits de l’homme, proposé par la PACE, englobe les magistrats/les juges et que soit réalisée la proposition de révision de la mission du Commissaire aux droits de l’homme, de telle façon qu’il soit habilité à traiter les cas individuels de persécution de défenseurs des droits de l’homme, dont les avocats et les magistrats, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe ;
IV. Communication et rapport à l’Opinion Publique
19. Fondé sur la protection des droits fondamentaux des citoyens, le système judiciaire a le devoir d’être en capacité de communiquer avec le public et de produire des décisions claires à l’issue de procédures simples, transparentes et compréhensibles pour le citoyen ;
20. Magistrats et avocats sont les principaux responsables de la clarté de la communication avec le public et ont le devoir de travailler en ce sens ;
21. La liberté des media et de la presse est aussi un droit fondamental dans une société libre et démocratique et des médias libres sont essentielles pour favoriser la communication entre la justice et les citoyens ;
22. Avocats et magistrats ont le devoir de fournir aux médias des informations exactes et rigoureuses, afin que les citoyens puissent être informés d’une façon libre et professionnelle ;
23. C’est la responsabilité des médias de veiller à diffuser des informations exactes de manière professionnelle et rigoureuse, dans le respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la présomption d’innocence ;
24. AED et MEDEL condamnent toutes tentatives de contrôle des médias soit par le pouvoir politique, soit par des intérêts économiques ; ils condamnent les campagnes menées par des médias contrôlées, dans des pays comme la Bulgarie ou la Pologne, ayant pour seul but de porter tort à des magistrats.
AED et MEDEL poursuivront leur réflexion commune sur ces thèmes et veulent rendre hommage à tous ceux avocats, journalistes, magistrats et autres citoyens qui paient un prix élevé pour leur courageux combat en faveur de l’État de Droit démocratique et de l’indépendance du Pouvoir Judiciaire.
En cette occasion, AED et MEDEL demandent la libération immédiate de toutes ces victimes d’une répression arbitraire et la cessation de tous les procès inéquitables en cours.
Bruxelles, 26 mai 2018.